Le 19 novembre 1986, la convention sur la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales (la " Convention de New York ") entre en vigueur à Singapour. Cet événement, qui passe quasiment inaperçu à Singapour, a le potentiel de faire de Singapour un centre d'arbitrage international.
Les sentences arbitrales rendues à Singapour pourront dorénavant être exécutées dans les soixante-six autres pays membres de la Convention de New York. De même, les sentences arbitrales rendues dans les autres Etats cocontractants de la Convention de New York pourront être exécutées à Singapour.
Lorsque la décision d'accéder à la Convention de New York fut annoncée par un communiqué de presse du gouvernement singapourien émanant du Ministère de la Justice (Ministry of Law), le 8 novembre 1985, le gouvernement fit allusion au fait que l'accession de Singapour à la Convention de New York était en harmonie avec la position de Singapour comme centre commercial international et tendrait à promouvoir le développement futur de Singapour en ce sens.
Cette décision s'est beaucoup fait attendre selon les praticiens de l'arbitrage commercial international et, sur le plan local, a été ces dernières années le sujet de nombreux commentaires érudits. Cette décision, parallèle dans le temps à celle de la mise en place d'une législation donnant un effet réel aux droits d'auteur, fait preuve d'un développement social, économique et juridique certain. S'il y a quelques décennies, Singapour était un peuple jeune et relativement peu développé, Singapour atteint aujourd'hui la maturité.
Devant cette évolution juridique en matière d'arbitrage international deux questions se présentent :
1. Pourquoi choisir Singapour comme lieu d'arbitrage ?
2. Quelle est la structure juridique relative à l'exécution des sentences arbitrales ?
Section I. - Pourquoi choisir Singapour comme lieu d'arbitrage ?
Singapour est un choix valable parce qu'il offre un climat favorable à l'arbitrage et parce que les règles locales relatives à celui-ci sont satisfaisantes 1, 2.
1.1. Climat favorable à l'arbitrage
1.1.1. Contexte général
Malgré l'absence d'une opposition politique nourrie et l'existence d'un seul réel parti à Singapour, la population s'y montre lettrée, instruite, aisée (en contraste frappant avec les pays voisins). Une évolution politique se fait jour puisque des représentants de l'opposition ont été élus aux dernières élections parlementaires de 1984 et que ce phénomène, selon des avis autorisés, devrait se reproduire.
Si les Singapouriens sont relativement contents de leur sort, c'est en grande partie en raison de l'essor économique de leur " ville-Etat ", ces dernières décennies. En effet, Singapour est riche, bien qu'il ne bénéficie pas de ressources naturelles, mis à part son port en eau profonde, à l'origine, d'ailleurs, de son succès économique.
Depuis plus d'un siècle, Singapour est le chef-lieu commercial du Sud-Est asiatique. Du temps où Singapour était colonie anglaise, les produits régionaux étaient centralisés à Singapour en vue d'être chargés sur des navires destinés aux ports européens ou américains. Aujourd'hui, cette tradition continue. De même, le mouvement des hommes d'affaires dans la région a tendance à suivre celui des marchandises. Singapour est un centre agréable et pratique au point de vue du transport aérien. Toutes les communications par tout moyen technologique y sont perfectionnées.
Vu son importance commerciale, bon nombre de professionnels et de spécialistes compétents, avertis des particularités de la région, demeurent à Singapour. Ainsi, Singapour offre autant ou plus d'arbitres potentiels que ses pays avoisinants. De plus, force est de constater qu'à Singapour le sérieux et l'honnêteté sont de rigueur1 . La corruption politique et du personnel judiciaire n'existe pas et les professionnels doivent maintenir leur réputation sans tache pour survivre dans la communauté locale. Ces critères politico-socio-économiques aidant, on ne peut que constater la nature favorable de Singapour comme lieu d'arbitrage.
1.1.2. Contexte juridique
Si la plupart des critères politiques, sociaux et économiques sont remplis à Singapour, ils le sont également du point de vue juridique. Singapour bénéficie d'une tradition juridique développée, en dépit de son histoire récente en tant que république, grâce à l'influence anglaise. La loi sur l'arbitrage, le Singapore Arbitration Act, publié dans the Statutes of the Republic of Singapore (volume I, chapitre 16, 1970), ressemble de près à la loi britannique de 1950 sur l'arbitrage. La Loi sur l'Arbitrage, du 4 mai 1953, fut plusieurs fois modifiée et consolidée dans la publication officielle suscitée. Plus récemment, elle fut amendée par the Arbitration (Amendment) Act, 1980, publié dans the Government Gazette Act Supplement of the Republic of Singapore, numéro 3, 21 mars 1980 ("l'Amendement 1980"). L'Amendement 1980 est en majeure partie une mise à jour singapourienne, parallèle aux amendements introduits en Angleterre par l'amendement de 1979 à la loi britannique sur l'arbitrage. Le degré d'influence britannique sur la pratique de l'arbitrage à Singapour se manifeste par !es similarités existantes entre, d'une part, la Loi sur l'Arbitrage et les lois britanniques sur l'arbitrage et, d'autre part, les références constantes2 des tribunaux étatiques singapouriens aux décisions et commentaires britanniques lorsque ces tribunaux sont amenés à décider des questions juridiques survenant dans un arbitrage ou à statuer sur une demande de recours en annulation.
En matière commerciale, le droit qui sera appliqué par les tribunaux étatiques singapouriens est le même que le droit britannique, sauf dans les cas où une loi singapourienne en prévoit autrement3 . Donc, en dépit d'un manque d'expérience important en matière d'arbitrage4, la jurisprudence actuelle, les textes législatifs existants et la possibilité de faire appel à l'expérience britannique pour combler les lacunes éventuelles, créent un cadre favorable pour le développement de Singapour comme lieu d'arbitrage.
1.2. Règles locales satisfaisantes
1.2.1. Les règles de procédure applicables
Si des parties élisent Singapour comme lieu d'arbitrage et indiquent simplement ce choix dans leur contrat, sans autre précision dans la clause compromissoire5, un arbitrage peut y avoir lieu.
Le Singapore Institute of Arbitrators, structuré d'après le règlement du London Chartered Institute of Arbitrators, n'a pas publié de règlement d'arbitrage proprement dit6. Toutefois, un arbitrage peut se dérouler à Singapour sous l'égide de l'un des règlements d'arbitrage internationaux.
Qu'un règlement d'une institution d'arbitrage ou ad hoc soit précisé ou non dans la clause compromissoire, les termes de la Loi sur l'Arbitrage complèteront le règles de procédure, si besoin est, dans tout arbitrage se déroulant à Singapour. Dans le cadre de la Loi sur l'Arbitrage, la procédure exacte qui sera appliquée au déroulement de l'arbitrage est, en l'absence d'accord entre les parties, à la discrétion des arbitres. D'ailleurs, les paragraphes 4 et 5 de la première annexe à la Loi sur l'Arbitrage (la " Première Annexe ") laissent explicitement à la discrétion des arbitres la nature des preuves, soit écrites, soit orales.
Peut-être la seule règle absolue, en ce qui concerne le déroulement de l'arbitrage, est celle d'une procédure équitable donnant à chaque partie la possibilité de se faire entendre et de connaître les motifs qui sont dressés contre elle.
Toute partie à un arbitrage peut être assistée par quiconque, mais en pratique les juristes responsables de la soumission de la demande d'arbitrage ou de la réponse à celle-ci assistent les parties à travers la procédure arbitrale.
La section 137 prévoit que les arbitres peuvent faire témoigner les parties ou des témoins sous serment ou recevoir leur aveu. Les témoins sont entendus selon la pratique anglo-saxonne, et notamment celle de la cross-examination. Toute partie à une clause compromissoire peut requérir un mandat à comparaître (subpoena), comme prévu par la section 14, pour obliger l'une des parties à témoigner ou à soumettre des pièces.
Selon le paragraphe 4 de la Première Annexe, les parties à une procédure arbitrale doivent se présenter et témoigner sur les questions litigieuses si leur témoignage est requis par les arbitres ou la partie adverse.
Cependant, personne ne peut être obligé à produire un document qui ne serait pas requis lors d'une procédure devant un tribunal étatique. Si un témoin refuse de comparaître devant les arbitres, les tribunaux étatiques singapouriens peuvent, comme prévu à la section 261, l'obliger où qu'il se trouve à Singapour.
La Loi sur l'Arbitrage ne fait pas référence aux experts. Toutefois, en pratique, les experts peuvent soumettre une déclaration écrite ou orale aux arbitres, étant entendu que cette déclaration doit être remise à l'adversaire et que celui-ci doit avoir la possibilité d'y répondre directement ou par le biais de son propre expert.
Les mesures conservatoires, comme dans la plupart des autres pays, sièges d'arbitrage, sont en pratique accordées par les tribunaux étatiques.
La Section 271, qui intègre les termes des paragraphes 5 à 8 de la deuxième annexe (la " Deuxième Annexe "), prévoit que les tribunaux étatiques auront les mêmes pouvoirs en matière arbitrale que ceux qu'ils ont vis-à-vis de toutes affaires présentées devant eux. Cela inclut explicitement des mesures conservatoires liées à : la préservation, la détention ou la vente de tous biens qui sont sujets à la procédure d'arbitrage ; en assurer le montant en litige ; la détention, la préservation ou l'inspection de tous biens ou choses dans le but d'obtenir de plus abondantes informations ou preuves ; et l'ordre interdisant à une partie de faire un acte qu'elle menace ou tente de faire ou de continuer une action injuste ou inéquitable qui fait du tort (à la partie demanderesse) et qui ne peut être réparée de manière adéquate par une action ultérieure en justice. Toutefois, la Loi sur l'Arbitrage précise que rien ne peut entraver tout pouvoir, qui serait ou qui aurait pu être par ailleurs conféré à un tribunal arbitral de statuer sur n'importe laquelle de ces questions.
Si une partie à un arbitrage ne respecte pas un ordre de procédure du tribunal arbitral, le tribunal ou n'importe quelle partie à la procédure peut faire appel à un tribunal étatique selon la procédure établie à la section 28 D traitant de la décision d'étendre les pouvoirs du tribunal. Si une décision de procédure est prise par le tribunal étatique, selon la section 28 D2, l'arbitre aura, dans les limites précisées dans ladite section, le pouvoir de continuer l'arbitrage en dépit du refus exprès ou tacite d'une partie de paraître, ou de tout autre acte par l'une des parties, de même qu'un juge d'un tribunal étatique pourrait continuer une procédure si une partie ne respectait pas la décision dudit tribunal ou les règlements de procédure en vigueur. La section 28 D3 précise que cette possibilité ne déroge en aucune manière aux pouvoirs déjà conférés aux arbitres, que ce soit par clause compromissoire ou autrement.
Or, un arbitre peut poursuivre la procédure et rendre une sentence en dépit du défaut d'une partie, tout comme un tribunal étatique. Selon la section 3, un accord selon lequel les parties conviennent de porter leurs différends en arbitrage est irrévocable et aura le même effet, à tous égards, qu'une décision d'un tribunal étatique.
1.2.2. La sentence singapourienne
Dans le cadre d'un arbitrage à Singapour, les arbitres peuvent rendre des sentences interlocutoires (interim awards) sous la Loi sur l'Arbitrage, tel qu'on le voit d'après la définition du mot " sentence ", à la section 2 et au paragraphe 9 de la Première Annexe. Selon cette définition, il est prévu que les arbitres peuvent, s'ils l'estiment à propos, rendre une sentence interlocutoire. Cette possibilité existe, sauf si la clause compromissoire l'exclut.
Les parties à une clause compromissoire peuvent préciser la date à laquelle l'éventuelle sentence doit être rendue. Sujet à un tel accord contractuel (accord qui n'est pas à conseiller vu les limites parfois irréalistes qu'il impose à un tribunal arbitral), la section 183 prévoit qu'un arbitre ou umpire peut statuer à tout moment8.
En pratique, les procédures d'arbitrage à Singapour ont tendance à se dérouler plus rapidement que celles qui se déroulent en Europe sou l'égide d'institutions internationales. Il n'est pas inhabituel qu'une sentence soit rendue dans les six mois ou l'année qui suit la demande d'arbitrage.
Les arbitres peuvent statuer sur leur propre compétence. Toutefois, toute action par un arbitre au-delà des limites de sa compétence peut être considérée comme une erreur de droit et donc être sujet à une consultative case procedure9 selon les termes de la section 28A ou selon la procédure d'appel délimitée à la section 28. Alternativement une telle action peut être improper conduct par les arbitres et peut aboutir à une annulation de la sentence selon la section 172. Il doit être précisé que ces pouvoirs du tribunal étatique d'annuler une sentence peuvent, en partie, être éliminés si les parties incluent dans leur clause compromissoire un accord d'exclure tout droit de recours ou d'appel aux tribunaux étatiques de Singapour, relatif à toute question de droit survenant au cours d'un arbitrage ou à toute sentence qui y est rendue (un " Accord d'Exclusion ")10 .
Les possibilités de contrôle par les tribunaux étatiques ne peuvent pas être limitées aussi facilement dans le cadre d'un arbitrage domestique que dans celui d'un arbitrage international. Un arbitrage " domestique" est défini à la section 28 B7 comme une procédure : qui ne prévoit pas expressément ou implicitement, une procédure dans un Etat autre que Singapour ; et à laquelle n'est partie ni un individu qui est citoyen de, ou qui réside habituellement dans un Etat autre que Singapour, ni une personne morale qui est établie sous les lois de, ou dont le siège social et le contrôle sont exercés dans un Etat autre que Singapour. Un arbitrage impliquant un individu qui est citoyen ou qui réside habituellement dans un Etat autre que Singapour est donc un arbitrage " non-domestique ", quel que soit le lieu de l'arbitrage en question. Cette définition a un effet pratique en ce qui concerne l'application de la section 28 (B), qui distingue entre un arbitrage domestique et un arbitrage non-domestique, afin de déterminer la validité d'un Accord d'Exclusion.
Dans les arbitrages internationaux, en cas de silence du contrat, les arbitres déterminent le droit applicable au fond en appliquant les théories connues dans le système de droit anglais de la Common Law, tel que le manque de contact avec un for, etc... Toutefois, les parties à une clause compromissoire peuvent éviter le doute quant au droit applicable en stipulant expressément dans la clause compromissoire que l'arbitrage est sujet à un droit particulier.
Quoique la Loi sur l'Arbitrage n'exige pas explicitement qu'une sentence soit écrite, la section 285 prévoit que si un tribunal étatique estime qu'une sentence n'est pas suffisamment motivée, le tribunal étatique pourra ordonner à l'arbitre ou l'umpire de préciser les motifs de sa sentence de manière à permettre au tribunal, si toutefois un appel est fait sous ladite section, de considérer toute question de droit se présentant lors d'un examen de la sentence. Au cas où les motifs de la sentence n'auraient pas été précisés, le tribunal étatique ne peut pas, ex post facto, exiger les précisions susmentionnées en l'absence d'une demande de sentence motivée, avancée par l'une des parties, lors de la procédure arbitrale elle-même. En fait, dans Tan Tong Meng Co. (Pte.) Ltd c. Artic Builders & Co. (Pte.) Ltd11 , le tribunal a annulé une sentence interlocutoire en raison d'un manque de motifs.
Selon la section 10, la sentence signée par deux des arbitres (dans l'hypothèse où il s'agit d'un tribunal de trois arbitres) est valable et lie les parties12 .
A Singapour, la sentence peut ne pas respecter une forme particulière, ni contenir des mots précis, ni suivre une présentation spéciale.
Une sentence complémentaire est envisagée explicitement par la section 303, au cas où la sentence ne statue pas sur les coûts de la procédure d'arbitrage. Toute partie, dans les quatorze jours après la publication de la sentence, ou plus tard si c'est admis par les tribunaux étatiques, peut soumettre une demande à l'arbitre pour déterminer par qui et à qui lesdits coûts doivent être payés. Le tribunal peut ordonner à l'arbitre d'amender sa sentence.
Une sentence statue normalement sur la question des coûts de I'arbitrage y compris les honoraires des arbitres, des jurys et d'autres charges connexes. Selon la section 302, toutes stipulations dans une clause compromissoire prévoyant que les parties devront payer leurs propres coûts en cas d'un arbitrage sont nulles. Toutefois, un accord entre les parties à un arbitrage conclu après le commencement du litige peut stipuler que chaque partie devra supporter ses propres coûts.
Les arbitres ont le pouvoir d'exiger un dépôt et de déterminer par qui et par quels moyens les coûts de l'arbitrage devront être payés selon le paragraphe 7 de la Première Annexe. Les tribunaux étatiques ont également le pouvoir d'exiger un dépôt ou une autre forme de garantie des coûts et des honoraires selon la section 271, qui reprend les termes du paragraphe 1 de la Deuxième Annexe.
Les honoraires de l'arbitre peuvent être fixés par l'arbitre lui-même. La section 301 prévoit que les coûts peuvent être précisés par la sentence, sujets à la procédure de " taxation " par un tribunal étatique13 . La section 31 prévoit que la décision peut être prise par l'autorité adéquate comme elle l'estime bon.
La section 321 prévoit un moyen par lequel le tribunal étatique peut servir lui-même d'arbitre, en quelque sorte, entre un arbitre et une partie à l'arbitrage qui refuse de payer le montant des honoraires demandés par l'arbitre. Le tribunal étatique peut ordonner à l'arbitre qu'il présente la sentence a ladite partie au moment où celle-ci verse au tribunal étatique le montant des honoraires requis. Celui-ci étudiera le montant des honoraires demandés et paiera à l'arbitre, en tant qu'honoraires, la somme que celui-ci estimera raisonnable14 et le solde de ce montant sera rendu à ladite partie.
Le montant des honoraires du juriste d'une partie peut lui être remboursé en fonction de l'équité du litige. Le paragraphe 7 de la Première Annexe prévoit que le montant et la distribution des coûts sont laissés à la discrétion du tribunal arbitral et que celui-ci peut statuer également sur la distribution des montants accordés par une sentence, entre le juriste et le client.
Si l'arbitre refuse de rendre sa sentence sauf en échange du paiement des honoraires qui lui sont dus, selon la section 321 le tribunal étatique peut, sur demande à cet effet, ordonner à l'arbitre de rendre sa sentence en échange du paiement desdits honoraires.
Il ressort de cette revue des règles de procédure qu'elles sont détaillées et qu'elles traitent une gamme importante de questions qui se posent lors d'un arbitrage. Elles assurent aux parties les principes fondamentaux d'une structure logique et équitable, au sein de laquelle peut se dérouler un arbitrage.
La scène est disposée. Le reste dépend des hommes et des femmes, parties, juristes et arbitres qui y montent.
Section II. - Quelle est la structure juridique relative à l'execution des sentences arbitrales ?
Cette section portera sur l'exécution des sentences rendues à Singapour (2.1) et sur celle des sentences étrangères (2.2).
2.1. L'exécution des sentences rendues à Singapour
2.1.1. Exécution sans appel
Il n'est pas nécessaire qu'une sentence arbitrale soit enregistrée ou déposée auprès du greffe d'un tribunal étatique à Singapour. En fait, la pratique est tout simplement que la partie, disposant d'une sentence qui lui est favorable, écrit une lettre au débiteur en demandant le paiement du montant.
Si la sentence n'est pas exécutée de manière volontaire la section 20 prévoit la transformation de la sentence arbitrale en un jugement d'un tribunal étatique sur demande de la High Court. Si cette demande aboutit à une fin favorable, le jugement est déclaré dans les termes de la sentence arbitrale. Cette formalité accomplie, la sentence peut être exécutée comme tout autre jugement d'un tribunal étatique singapourien. En pratique, cette formalité d'exequatur est quasi automatique, c'est-à-dire, le tribunal n'étudiera pas le fond de la sentence. Cependant, le tribunal étatique peut refuser l'exequatur s'il y a une faille fondamentale dans la sentence ou s'il y a preuve que la procédure arbitrale n'a pas respecté les règles fondamentales d'une procédure équitable.
Il n'y a actuellement pas de contrôle des changes en vigueur à Singapour15 . Une demande d'exequatur peut être faite simplement ex parte, en accord avec les termes de l'Ordre 46. Une telle demande doit être déposée accompagnée d'une déclaration sous serment qui identifie la sentence, le montant originel de la sentence et le montant dû à la date de la demande et toute autre information nécessaire afin de démontrer au tribunal étatique le bien-fondé de la demande d'exequatur. L'exequatur sera rendu par le greffier de la High Court16 , à condition que la personne le demandant produise la sentence sous-jacente ou une copie certifiée conforme.
L'exequatur est valable pour une période de douze mois, à compter de la date à laquelle il est rendu par le greffier, et peut être renouvelé pour des périodes supplémentaires de douze mois. La partie demandant l'exequatur peut récupérer la commission, les frais et les dépenses de l'exécution en plus des sommes recouvertes17 .
2.1.2. Recours en annulation
Il n'y a pas d'appel, au sens propre du mot, à une sentence arbitrale à Singapour. Il n'est pas possible qu'un tribunal étatique revoit de novo le fond d'un litige en deuxième instance. De même, il n'existe pas à Singapour de recours à des arbitres d'appel.
Selon la section 282, un appel peut être fait devant un tribunal étatique sur toute question de droit qui naît d'une sentence. Ce droit d'appel est soumis aux termes de la section 283, qui prévoit qu'un tel appel peut être fait par une des parties avec le consentement de toutes les autres parties, ou à l'accord du tribunal étatique. Le tribunal étatique n'accordera pas l'appel, sauf s'il estime que, eu égard à toutes les circonstances, la détermination de la question de droit pourrait avoir un effet substantiel sur les droits d'une ou plusieurs des parties à la clause compromissoire18 . Le tribunal étatique peut confirmer, modifier ou qualifier la sentence ou la renvoyer à l'arbitre pour un nouvel examen du dossier, compte tenu des considérations émises par le tribunal étatique sur les questions de droit. La décision du tribunal étatique peut à son tour faire l'objet d'un appel à la Court of Appeal selon les termes de la section 287, mais uniquement si celle-ci accepte d'entendre l'appel et estime que la question de droit en cause est d'une importance publique et générale ou est une question qui, pour toute autre raison, doit être prise en considération par la Court of Appeal19.
L'appel d'une question de droit au cours de la procédure arbitrale n'est pas permis de manière générale. La section 28 A permet, de manière limitée, aux parties en cours d'arbitrage, à un arbitrage de soumettre une question de droit au tribunal étatique sans le consentement des autres parties. Cela à condition que l'arbitre y consente et que le tribunal s'assure que l'examen de cette question aurait pour conséquence une économie substantielle de coûts et qu'elle pourrait faire l'objet d'un appel selon les termes de la section 283(b). L'appel sur une question de droit peut ainsi être perçu comme étant un des motifs d'un recours en annulation, tel qu'il est exposé ci-dessous.
L'exequatur étant la décision d'un juge étatique, cette décision peut faire l'objet d'un appel comme toute autre décision juridictionnelle20 .
Depuis l'Amendement 1980, les possibilités de recours contre les sentences arbitrales sont plus limitées qu'auparavant. La section 281 prévoit que le tribunal étatique n'est pas compétent pour entendre un recours en annulation ou pour renvoyer une sentence relative à une clause compromissoire pour raison d'erreurs de fait ou de droit, qui paraissent dans le texte de ladite sentence. La sentence des arbitres est donc définitive et lie les parties. Ceci est une condition implicite à toute clause compromissoire selon le paragraphe 6 de la Première Annexe. Toutefois, la section 6 permet qu'il en soit stipulé autrement dans les clauses compromissoires.
Selon la section 172, misconduct par un arbitre ou un umpire, soit de sa personne ou de la procédure, peut mener à l'annulation d'une sentence. Misconduct est défini en grande partie dans le texte de la decision de Official Assignee c. Chartered Industries of Singapore Ltd(21) , qui expose :
Il ressort clairement des commentaires qu'une sentence peut être annulée si l'arbitre s'est mal conduit. Ce qui constitue la misconduct est exposé dans Halsbury's Laws of England, quatrième édition, volume 2, p. 330, para. 622. Misconduct a lieu si l'arbitre ne statue pas sur toutes les questions qui lui sont déférées... Les questions débattues devant l'arbitre peuvent être déduites des plaidoiries soumises à la procédure d'arbitrage... L'arbitre doit statuer dans sa sentence sur la validité de la notification et de la cessation des rapports contractuels... Je pense que la sentence est également ineffective et donc invalide à cause de l'ambiguïté de la sentence... Elle est donc invalide et doit être annulée.
Une sentence peut ainsi être annulée ou renvoyée à l'arbitre qui l'a rendue, lorsque celui-ci s'est prononcé sur des questions autres que celles qui lui ont été soumises ou n'a pas statué sur toutes les questions.
La section 16 prévoit que, dans tous recours à l'arbitrage, le tribunal étatique peut renvoyer des questions soumises à l'arbitrage à la recommandation de l'arbitre qui devra alors, sauf si l'ordre le précise autrement, rendre sa sentence dans les trois mois.
Une autre raison pour qu'un tribunal singapourien refuse d'accorder l'exequatur ou annule une sentence est la violation de l'ordre public singapourien. Même si un arbitre a entièrement respecté les termes de la clause compromissoire des parties, sa sentence sera invalidée pour misconduct si elle est basée sur des fondements contraires à l'ordre public singapourien.
Quant à la procédure à suivre pour un recours en annulation sur l'une des bases indiquées ci-dessus, à l'exception des considérations énumérées ci-dessous, l'Ordre 55, Règle 3, prévoit que la notification d'une demande en appel doit être faite dans les vingt-huit jours après la date de la sentence au président du tribunal et à chaque partie à la procédure arbitrale. Le délai pour faire appel à une sentence sera calculé à compter de la date à laquelle une notification22 de la sentence aura été faite à l'appelant. Sauf si le tribunal étatique compétent en statue autrement, un tel appel ne sera pas entendu avant vingt et un jours après la date de la notification. Des règles de procédure sont indiquées à l'Ordre 55 quant au contenu, au nombre de copies et aux dates pour faire amendement à ladite notification.
Le tribunal étatique pourra statuer sur l'appel en prenant connaissance de toute preuve ou déclaration ayant été produite au courant de, ou ayant trait à, ladite procédure arbitrale.
Le tribunal étatique ne sera pas obligé de recevoir l'appel arguant l'admission ou le rejet de preuves par les arbitres, sauf si le tribunal étatique juge qu'un préjudice important ou une mauvaise conduite de la justice résulte d'une telle erreur. Si une partie demande au tribunal étatique de déclarer qu'une sentence a été rendue en dehors de la compétence du tribunal arbitral, l'Ordre 69, Règle 2, prévoit que le juge étatique peut refuser de statuer sur une telle demande. Selon l'Ordre 69, une demande de renvoi d'une sentence aux arbitres, comme prévu à la section 16, ou une demande d'annulation d'une sentence selon les termes de la section 172 peut être faite au tribunal étatique dans les six semaines suivant la publication de ladite sentence aux parties. Une notification doit exposer les bases de la demande et une copie de chaque affidavit qui sera utilisé doit accompagner ladite demande.
En cas d'appel à un tribunal étatique, selon la section 282, une notification doit être faite et l'appel déposé dans les vingt et un jours qui suivent la publication de la sentence aux parties. Mais, si des raisons pertinentes à l'appel ne sont pas connues à la date de la publication de la sentence, la période de vingt et un jours commencera à courir à partir de la date à laquelle ces raisons auront été connues. Une demande selon la section 28 A, visant la détermination de toute question de droit survenant au cours d'un arbitrage, doit être faite, ainsi que la notification susmentionnée, dans les quatorze jours après que l'arbitre ou que les autres parties aient contesté ladite demande.
Selon l'exemple de l'amendement de 1979 à la loi britannique sur l'arbitrage, l'Amendement 1980 prévoit que les parties peuvent établir un accord éliminant la possibilité de recours aux tribunaux étatiques en ce qui concerne : une question de droit survenant au cours de la référence ; un ordre pour que l'arbitre donne à un tribunal étatique les raisons de sa sentence ; et un recours en annulation. L'Accord d'Exclusion est introduit dans la Loi sur l'Arbitrage à la section 28 B et à la section 28 C.
Comme pour une clause compromissoire, un Accord d'Exclusion doit être fait par écrit23 . La section 28 B2 prévoit qu'un accord d'exclusion peut inclure tout type de sentences. L'Amendement 1980 prévoit qu'un accord d'exclusion, dans un arbitrage " non-domestique ", est valable qu'il ait été ou non conclu avant qu'un arbitrage ne survienne, sauf s'il concerne des questions ou des chefs de demandes tombant sous la compétence d'Admiralty des tribunaux étatiques, ou des litiges relatifs à des contrats d'assurance, ou relatifs à des contrats de commodities. Pour qu'un accord d'exclusion soit valable dans l'un de ces cas, il doit être conclu après le commencement de l'arbitrage, ou l'arbitrage doit être gouverné par un droit autre que le droit de Singapour. Toutefois, le Ministre de la Justice peut, par déclaration, prévoir que l'application de la sous-section 1 de la section 28 C devra cesser ou être limitée tel qu'il le déclare.
La section 28 B limite l'effet d'un accord d'exclusion à l'exception d'appel sur des questions de droit, de demandes pour qu'un tribunal étatique ordonne à l'arbitre de déclarer les motifs de sa sentence, et d'intervention d'un tribunal étatique pour déterminer une question de droit au cours d'une procédure d'arbitrage. Les tribunaux étatiques conservent donc tous pouvoirs résiduels, tel que celui de déterminer s'il y a eu misconduct de la part du tribunal en se prononçant sur des questions hors de sa compétence. Il ne ressort pas encore clairement de la jurisprudence singapourienne à quel point les tribunaux étatiques compteront sur des pouvoirs tels que ceux existant sous la section 172 pour contourner le but de l'Amendement 1980, c'est-à-dire limiter l'intervention des tribunaux étatiques dans la procédure d'arbitrage. Il est probable que les tribunaux de Singapour seront réceptifs à une argumentation fondée sur la jurisprudence britannique, jurisprudence qui interprétera les sections 22 et 23 de la loi britannique de 1950 sur l'arbitrage, à la lumière des limitations posées dans l'Amendement de 1979 relatives à celle-ci.
Lorsque les parties ont conclu une clause compromissoire et qu'un litige incluant des accusations de fraude survient, le tribunal étatique a normalement le pouvoir, selon la section 122, d'ordonner que l'arbitrage cesse d'avoir effet et de décider lui-même s'il y a fraude ou non. Un accord d'exclusion constitue une exception à cette règle. En tout état de cause, lorsqu'un litige incluant des allégations d'une action frauduleuse d'une partie survient et qu'un accord d'exclusion existe, le tribunal étatique, sauf dans le cas où l'accord d'exclusion prévoit autrement, ne devra pas exercer ses pouvoirs sous la section 122, si l'arbitrage est un arbitrage " non-domestique "24 . Les sections 122 et 28 B2 s'appliquent en cas d'action frauduleuse d'une partie. Un cas de fraude par le tribunal arbitral lui-même tombe sous la règle de la section 172.
2.1.3. L'effet de la Convention de New York sur l'exécution hors du territoire de Singapour des sentences rendues à Singapour
L'impact principal de l'accession de Singapour à la Convention de New York sera celui de faciliter la circulation dans des pays tiers, membres de la Convention de New York d'une sentence rendu à Singapour. Bien entendu, cette accession aura également l'effet de faciliter l'exécution de sentences étrangères à Singapour, sujet qui sera traité à la partie 2.2 ci-après. Toutefois, vu les limites restreintes du territoire de cette ville-Etat et la nature transitaire du commerce qui s'y fait, il est important d'avoir la possibilité d'exécuter une sentence qui y est rendue sur des biens sis hors du territoire de Singapour. D'ailleurs, le communiqué de presse du Ministère de la Justice en date du 8 novembre 1985 auquel il est fait référence dans l'introduction de cet exposé, fait allusion à cette conséquence bénéfique comme étant un des éléments pris en compte par le gouvernement singapourien pour aboutir à sa décision d'accéder à la Convention de New York.
Il est dorénavant concevable qu'une société française ayant son siège à Paris, et une société américaine ayant ses bureaux à Los Angeles en Californie, choisissent Singapour comme lieu d'arbitrage pour tout litige relatif à un contrat de sous-traitante de forages " offshore " en Indonésie. Les témoins, les dossiers, les appareils de forage et le site sont à proximité de Singapour. L'arbitrage pourra donc se dérouler de manière plus rapide et moins coûteuse à Singapour qu'à Genève, New York ou Stockholm, et la sentence éventuelle sera exécutable aux USA ou en France comme dans soixante-dix25 autre pays d'ailleurs.
2.2. L'effet de la Convention de New York sur l'exécution des sentences étrangères
L'accession de Singapour à la Convention de New York donnera à Singapour le dernier trait d'un centre d'arbitrage international.
En ce qui concerne la mise en vigueur de la Convention de New York, The Arbitration (Foreign Awards) Act 1986, qui entre en vigueur le 19 novembre 1986, prévoit que la Convention de New York n'affecte pas le droit d'une partie d'exécuter une sentence arbitrale autrement que de la manière prévue dans la Convention de New York. Une législation existante peut donc être appliquée à l'exécution d'une sentence à laquelle les termes de la Convention de New York pourraient également s'appliquer. Ensuite, ledit acte confirme que toute sentence à laquelle la Convention de New York s'applique liera les parties à tous égards, et pourra donc servir en tant que défense, compensation ou autrement dans le cadre de toute procédure juridique à Singapour.
The Arbitration (Foreign Awards) Act indique ensuite les preuves requises à l'appui de l'exécution d'une telle sentence : l'original de la sentence dûment authentifié ou une copie certifiée conforme de celle-ci, l'original de l'accord d'arbitrage ou une copie certifiée conforme de celui-ci, et lorsque le texte de la sentence ou de l'accord d'arbitrage est en langue étrangère (pas en anglais), la traduction anglaise certifiée par un traducteur juré ou un agent diplomatique ou consulaire.
La section 7 2 et 4 du Arbitration (Foreign Awards) Act a énuméré et ainsi limité les cas dans lesquels l'exécution des sentences bénéficiant de la Convention de New York peut être refusée26 . Pour qu'une sentence soit soumise à la Convention de New York, elle doit être rendue sur la base d'un accord d'arbitrage dans le territoire d'un pays étranger qui est membre de la Convention de New York.
De par son accession à la Convention de New York, Singapour se range parmi les pays qui reconnaissent le rôle de l'arbitrage international dans le développement du commerce international. Pour la première fois depuis la mise en place de son Parlement en 1959, Singapour traverse depuis quelques temps une période de stagnation économique (qui est peut-être en partie responsable de sa décision d'accéder à la Convention de New York dans l'espoir que cette décision contribuera à un nouvel essor économique). En tout état de cause, Singapour bénéficie d'un record économique exemplaire dans la région. Bien que la contestation politique soit limitée et contrôlée, Singapour est politiquement stable. Enfin, bien qu'une histoire récente et une population limitée pourraient laisser penser que le savoir juridique collectif est également récent et limité, Singapour a su retenir le savoir juridique britannique en l'adaptant quelque peu aux particularités de sa région tout en accueillant, d'emblée, l'évolution juridique britannique lorsqu'elle se manifeste de temps à autre.
Force est donc de constater que Singapour remplit les critères principaux d'un lieu favorable à l'arbitrage. D'ores et déjà, si les circonstances du contrat l'indiquent, Singapour est un choix raisonnable en tant que lieu d'arbitrage. De même, l'exécution de sentences arbitrales étrangères sera facilitée vis-à-vis des soixante-dix autres pays membres de la Convention de New York.